Évaluation

Transformer les bureaux en logements est-ce une bonne idée ?

Par Christian Capitaine | Le | Services pour évaluer

Le taux de vacance élevé sur le marché du bureau en France, consécutif au développement du télétravail, interroge sur l’avenir de ces espaces de travail. Pourrions-nous les transformer en logements, alors que perdure une pénurie de logements sur notre territoire ? Et dans quelle configuration d’espace aspirons-nous à vivre aujourd’hui ? Sébastien Lorrain, directeur résidentiel chez CBRE, spécialiste du conseil en immobilier d’entreprise, livre son point de vue à ImmoMatin.

Le Groupe CBRE emploie plus de 100 000 personnes à travers le monde - © D.R.
Le Groupe CBRE emploie plus de 100 000 personnes à travers le monde - © D.R.

A San Francisco, les entreprises de la Tech désertent leurs bureaux, rapportait récemment Le Monde. Est-ce la fin du bureau tel qu’on l’a connu ? 

Ce phénomène s’est déjà produit en Irlande, où siègent les Gafa, en mars 2020 aux prémices de la crise sanitaire. La possibilité du travail à distance, pour les salariés de ce type de structures, explique, sans doute, ce phénomène de désertion.

Que deviendront ces locaux si le home-office s’inscrit dans la durée ? Leurs usages seront-ils modifiés ? Seront-ils transformés en logements ? Personne ne le sait, il est trop tôt pour répondre. La question, en tout cas, déchaine les passions. Et quant à savoir s’il s’agit, ou non, d’un mouvement de fond qui sera pérenne, là encore, la question reste en suspens.  

Cette problématique concerne-t-elle également la France, lorsque l’on songe notamment aux quartiers d’affaires comme Le Défense ? 

Sébastien Lorrain, directeur résidentiel chez CBRE - © D.R.
Sébastien Lorrain, directeur résidentiel chez CBRE - © D.R.

Personne n’est en mesure de dire, aujourd’hui, si le quartier de La Défense conservera ses attributs de grand centre d’activité tertiaire. Mais de là à dire que le quartier se transformera en vaste lotissement résidentiel, il y a une limite !

Ce qui est incontestable, en revanche, c’est que la France, selon un modèle d’urbanisme qu’elle a mis sur pied dans les années 1970, a construit son espace en s’appuyant, d’une part, sur l’idée de métropolisation avec de grands centres de densification urbaine et, d’autre part, en s’appuyant sur des fractionnements par silos, avec des secteurs géographiques destinés respectivement au logement, au bureau et l’activité commerciale.

Or, je doute qu’aujourd’hui nous aspirions à vivre selon ce modèle qui fait la part belle à la segmentation des activités et à la densification à outrance. Notre quête s’oriente désormais vers des espaces qui offrent de la mixité dans nos activités du quotidien : travailler, vivre et dormir ! 

Autre signe qui témoigne des difficultés du marché des bureaux : le taux de vacance, qui progresse… 

Il est en hausse, oui, et résulte de la conjonction de la crise sanitaire qui a réduit la demande placée, ajoutée au développement du télétravail. En Ile-de-France, il atteint 6,3 %, ce qui place l’offre immédiate dans la région à un niveau de 3,7 millions de m2. A l’échelle nationale, le taux descend à 4,6 %.

Mais ces chiffres, certes élevées, ne signifient pas, non plus, la fin du bureau tel que nous le connaissons. Nous voyons plutôt ces évolutions comme des éléments de réflexion.

La France souffre d’une pénurie de logements. Transformer les bureaux en logements serait-il la solution ? 

Cet élément fait, en tout cas, partie de la solution. L’Etat et les grands opérateurs, et notamment ceux du logement social, se sont déjà engagés dans ce sens avec la signature, en 2018, d’une charte d’engagement pour la transformation en logements de 500 000 m2 de bureaux en Ile-de-France.

On peut citer également l’appel à projet « Réinventer Paris » qui propose de donner une nouvelle vie à des anciens bureaux et lieux de travail qui ne sont plus adaptés aux besoins actuels. 

Cela étant dit, tous les bureaux ne sont pas transformables en logements : on estime qu’en région francilienne seulement 20 % du parc des bureaux peut être transformé, ce qui correspond à environ 740 000 m2 de nouveaux logements.  

Quelles sont les contraintes pour transformer un bureau en logement ? 

Au niveau du plan local d’urbanisme, tout d’abord, dont l’objet est d’établir, pour un périmètre donné, un projet d’urbanisme et d’aménagement, changer les règles d’utilisation du sol est un exercice compliqué. Au-delà de cet aspect pratique, il y a également un frein au niveau technique, avec cette question : l’immeuble peut-il se prêter à une telle transformation, et notamment au niveau de sa trame ?

Aussi, dans un logement, la lumière doit être accessible à toutes les pièces, ce qui n’est pas toujours le cas dans un espace bureau. Une certitude : ceux qui se prêtent le mieux à ces transformations sont les locaux plus anciens, notamment ceux sortis de terre dans les années 1970.  

Ce besoin de logements, en France, conjugué à l’essor du travail à distance va-t-il entrainer une vague de transformation des bureaux en logements ?  

Difficile de dire si, à courts termes, une vague déferlera. En tout cas, un dynamisme est en cours (mais on ne peut pas parler d’explosion), engendré par la crise sanitaire et ses conséquences. Une autre certitude : les citoyens veulent plus de diversification.

On peut aussi imaginer transformer les bureaux à d’autres usages, par exemples en crèches, en écoles, ou en centres de soins. La ville est devenue mixte, comme le doivent être nos immeubles.