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« Cette crise immobilière est profonde, transformatrice » (Olivier Colonna d’Istria, IFPimm)

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« Cette crise immobilière est profonde, transformatrice. Penser qu’elle va passer aussi vite que celles de 2008 et 2012 est une erreur de jugement. » Accession à la propriété, évolution des crédits immobiliers et rôle des groupes bancaires, décotes dans l’immobilier tertiaire… Olivier Colonna d’Istria, président de l’IFPImm et du directoire de la Socfim, a répondu aux questions de notre partenaire News Tank Cities.

Olivier Colonna d’Istria, président de l’IFPImm et du directoire de la Socfim. - © D.R.
Olivier Colonna d’Istria, président de l’IFPImm et du directoire de la Socfim. - © D.R.

Avec des chiffres de ventes et réservations en nette baisse en 2023 par rapport à 2022, la filière des promoteurs immobiliers est-elle en danger et faut-il redouter un affaiblissement de l’appareil productif en France ?

Cette crise immobilière est profonde, transformatrice. Penser qu’elle va passer aussi vite que celles de 2008 et 2012 est une erreur de jugement. Dans le neuf, les volumes sont en baisse, le périmètre de l’accession se réduit. Les ventes en bloc aux bailleurs et plus particulièrement à Action Logement et à la Caisse des Dépôts vont certes purger certains marchés, mais elles ne règlent rien au fond. On va atterrir à 90 000 ventes de logements en 2023 et 50 000 sont en cours de construction.

On doit souligner ce point de vigilance : la réalisation des nouveaux quartiers, des rénovations de centre-ville et d’une offre de production abordable aura besoin d’acteurs pérennes. Leur fragilisation à venir hypothèque les objectifs affichés, au-delà du seul secteur du neuf, y compris dans l’industrialisation de la rénovation et de la transformation.

Comment voyez-vous évoluer la structure du bilan promoteur et les conséquences sur les prix de sortie du neuf ?

Pour les promoteurs immobiliers, il est temps de changer de mindset. Faire le gros dos ne suffira pas. Dans l’immédiat, des structures sont recalibrées, mais on ne réduit pas les coûts fixes aussi vite que la baisse des volumes. L'équilibre d’exploitation devient difficile à trouver. Il est donc nécessaire de compter un peu plus. Les fonds propres vont être touchés, de l’argent sera perdu sur les ventes en cours.

Heureusement, d’ailleurs, que tous les permis de construire n’ont pas été signés et les opérations lancées. La course aux volumes est terminée.

La course aux volumes est terminée

Les ventes en bloc seront pour un moment le lot ordinaire, préférables aux opérations à la découpe dans un marché dicté par les prix de sortie. Le métier de promoteur sera donc moins rentable mais moins risqué.

Cette activité qui reste très capitalistique a deux zones de risques : le défaut de capitaux propres et l’arrêt de chantiers, en raison de défaillances d’entreprises. Les difficultés à venir sont pour les promoteurs immobiliers, mais aussi pour les aménageurs, sur la vente de leurs terrains, et au bout de la chaîne pour le logement social qui achète la moitié de sa production aux promoteurs.

À terme, deux questions vont se poser avant de se lancer : que veut faire le maire de ses fonciers, entre le libre et le social, et comment sortir des produits plus économes ? De nouveaux processus de construction vont s’imposer, je pense par exemple à la construction hors-site. Mais la vérité est qu’on a du mal à faire baisser les prix dans le neuf.

Vous avez à plusieurs reprises, notamment dans le cadre de l’IFPimm, évoqué la nécessité d’innover dans la distribution de crédits immobiliers. Les banques y ont-elles intérêt ? Comment stimuler la demande et re-solvabiliser les acquéreurs ?

Partons du constat. Sur 12 mois, la production de nouveaux crédits a reculé de 40 à 50 % sous l’effet de plusieurs facteurs cumulatifs. Sans reprise d’une activité de crédit immobilier soutenue, la baisse des transactions, celle des prix et de l’accès à un marché locatif plus fluide, vont s’accentuer.

La hausse rapide des taux a pesé sur les bilans des banques avec une « marge embarquée » en repli et une difficulté à répercuter la hausse sur la production nouvelle. Pour certains groupes bancaires aux revenus diversifiés, le crédit immobilier n’est plus assez rentable. Il n’est plus un produit d’appel pertinent.

Pour les groupes bancaires restés distributeurs, le nouvel environnement de taux ne permet plus d’adresser les entrants dans le marché, la cible principale du crédit immobilier pour conquérir la clientèle.

Quelles sont les pistes que vous défendez ? Faut-il lâcher du lest sur les crédits immobiliers ?

Le crédit immobilier a peu évolué depuis l'ère Pompidou des années 1970. Il y a des pistes non coûteuses comme, par exemple, redonner aux banques leur capacité d’apprécier leur risque de prêteur, en s’appuyant sur la très faible sinistralité du crédit immobilier à la française.

Comme autres pistes, nous pouvons imaginer une détente des critères sur la durée maximum et le taux d’endettement maximum pour l’investissement, et une prise en compte partielle de la valeur résiduelle du bien financé, ce qui est pratiqué avec les voitures.

Le crédit immobilier a peu évolué depuis l'ère Pompidou des années 1970

À ce stade il y a peu d’ouverture et le calcul théorique du Gouvernement est qu’il faut écraser les prix et que des véhicules d’investissements vont drainer l'épargne vers l’immobilier. Mais il y a un double risque de récession si les prix dégringolent et de contre-sens culturel car les Français sont attachés à l’immobilier et à la pierre, notamment pour assurer leur retraite.

En conséquence, le taux d’effort autorisé pour les ménages emprunteurs doit-il être revu ?

Les règles du HCSF ne permettent pas de stimuler la production. Si l’usure a été corrigée, tardivement selon moi, elle ne constitue plus un réel problème. En revanche, la durée limitée à 25 ans ne permet pas le lissage des échéances, nécessaire pour une solvabilité reconstituée des ménages « rentrants » faute de baisse suffisante des prix d’acquisition.

Le taux d’endettement maximum limite l’accès au crédit, notamment pour les investisseurs locatifs privés, car le calcul n’intègre pleinement pas les revenus de l’investissement. La notion de « reste à vivre », plus pertinente, est capée par cette règle.

Comment faire bouger les lignes sur l’accession à la propriété ?

L’exclusion croissante des primo-accédants et des personnes « solvables non finançables » est un non-sens à un moment où le marché locatif se referme avec la fin du Pinel dans le neuf et des passoires thermiques dans l’ancien. Cela devrait appeler à des changements de pied radicaux.

Pourquoi ne pas évaluer le rapport bénéfices-charges d’un retour à l’exonération (IRPP) des frais financiers pour l’accession à la primo-accession, avec un plafond ? Ne faudrait-il pas revenir sur la péréquation libre/social par les prix au sein d’une même opération ?

Si l’appétit des banques pour le crédit immobilier ne revient pas, quid d’un établissement de place de crédit spécialisé, financé sur fonds longs avec une épargne fléchée, à l’exemple de ce que faisaient le Crédit Foncier de France (CCF) et Fanny Mae aux États-Unis ?

Quid du statut du bailleur privé toujours en chantier ?

Il faut simplifier l’analyse de solvabilité des investisseurs pour les banques en mettant en œuvre un statut du bailleur simple et stable, sans recherche d’optimisation fiscale. Cela veut dire mettre fin aux régimes fiscaux dérogatoires pour passer au statut économique du bailleur privé. 

L’immobilier tertiaire doit-il se repositionner en termes d’attractivité, en capital et rendement courant ? La décote attendue est-elle en marche ?

Dans un secteur purement financier où le point de référence est l’OAT, nous voyons tous un double problème dans le tertiaire : celui des valeurs et celui des besoins.

En Île-de-France, la demande placée est en forte baisse (1,35 million de m² septembre 2023, -12 % par rapport à fin septembre 2022) et l’offre immédiate de bureaux augmente (4,63 millions de m² au 30/09/2023, +13 % par rapport à son niveau de 2022). Il y a un stock vide de bureaux depuis des années, il faut écraser ces valeurs. On voit que le mouvement s’accélère.

Il y a un stock vide de bureaux depuis des années, il faut écraser ces valeurs

Enfin, les décotes se voient dans le coté et le non-coté commence à s’aligner, notamment chez les SCPI qui ont été secouées par l’AMF. Les assureurs et les banques désinvestissent l’immobilier tertiaire, recherchant de la liquidité ailleurs. Il y a besoin d’une remise à niveau de la rentabilité et ceci rendra possible le mouvement nécessaire de transformation de cet immobilier obsolète.

La transformation de locaux ou bureaux vides en logements se développe. Qu’en est-il  dans votre activité ? La cartographie des bureaux obsolètes, annoncée par l’IPFimm, est-elle toujours en projet ?

Nous finançons de plus en plus d’opérations de ce type, dont certaines à La Défense. Celles qui se montent aujourd’hui sont encore appuyées sur des valeurs d’il y a 2 ou 3 ans, destinées à faire du co-living et de la résidence gérée.

Notre projet de cartographie du potentiel de transformation d’usage de l’immobilier obsolète, créé avec La Plateforme de l’Immobilier, la Foncière de Transformation Immobilière (Action Logement) et Linkcity, doit aider la profession à analyser et anticiper les évolutions techniques du parc immobilier et les mutations des usages. Il devrait être opérationnel à la fin 2024 principalement sur l'Île-de-France et les grandes métropoles.