« Renforcer le droit du propriétaire pour fluidifier le marché » (Édouard Philippe, Congrès Fnaim 2025)
Fiscalité immobilière, encadrement des loyers, loi Climat et Résilience : au Congrès 2025 de la Fnaim, Édouard Philippe a livré un diagnostic sévère des politiques du logement, qu’il juge inadaptées aux mutations socio-économiques du pays. Pour relancer l’investissement et remettre des biens sur le marché, il plaide pour une protection renforcée des propriétaires et une révision des règles jugées « désincitatives ».
« Nous avons créé des règles, notamment fiscales, qui dissuadent les investisseurs à construire, désincitent les propriétaires à louer, et rendent le marché immobilier peu fluide. Or, je suis convaincu qu’il faut le rendre plus fluide. Pour le rendre plus fluide, il faut renforcer le droit du propriétaire », a notamment déclaré Édouard Philippe, maire (Horizons) du Havre (Seine-Maritime) et candidat à l’élection présidentielle 2027, le 8 décembre 2025.
Il s’exprimait à l’occasion d’une conférence au Congrès immobilier de la Fnaim au Carrousel du Louvre à Paris (1er). Il était interrogé par Loïc Cantin, président de la Fnaim, sur différents sujets relatifs à la politique du logement : fiscalité, encadrement des loyers, loi Climat et Résilience…
Et Édouard Philippe de poursuivre : « Si vous êtes propriétaire et que votre locataire ne paie plus, même si vous avez un bon intermédiaire, vous mettrez longtemps à récupérer votre bien. Cela désincite fortement à mettre son appartement en location. Il faut donc renforcer le droit des propriétaires, accélérer les procédures judiciaires et sécuriser la récupération de logements ».
« Nous peinons à définir une ligne directrice et une conception claire en matière de logement. Les gouvernements successifs essaient de les régler, avec des succès variables et j’ai pris ma part dans le caractère variable, voire relatif, de ces succès. »
« La fiscalité qui pèse aujourd’hui sur l’acquisition, la détention et la transmission de l’immobilier est objectivement désincitative. Les encouragements traditionnels, qui ont beaucoup structuré nos villes en poussant des acteurs institutionnels à construire et à détenir longtemps des logements, ont disparu.
Quand vous allez dans certains quartiers entiers de Paris ou de grandes villes françaises, vous voyez ces immeubles qui ont été construits et détenus longtemps par des compagnies d’assurances. Aujourd’hui, les règles prudentielles européennes ont très largement désincité ces grandes compagnies à détenir ce type d’actifs sur le long terme. Elles sortent donc de ce marché ».
« Si on ne tient pas compte des transformations profondes de la France, nous nous tromperons dans la politique du logement »
« Il est vrai que, depuis Valéry Giscard d’Estaing, la France a beaucoup changé. S’agissant d’une “France de propriétaires”, il faut comprendre deux implications décisives :
• La première, c’est le vieillissement démographique : notre pays vieillit et mécaniquement cela fait reculer l’âge moyen auquel on perçoit un héritage. Cette mécanique, qui faisait qu’autrefois un jeune couple, au moment où il commençait sa vie professionnelle pouvait bénéficier d’un héritage qui lui permettait d’apporter du capital dans un projet d’acquisition, ne fonctionne plus de la même manière. L’âge moyen de perception d’un héritage se situe désormais entre 55 et 57 ans.
• Le deuxième sujet est celui du niveau de vie. Dans les années 1950, il était possible pour un couple qui travaillait au salaire médian de doubler son niveau de vie en quinze ans de travail. Dans les années 1980, il fallait déjà 30 à 35 ans de travail. Depuis quelques années, il faut 70 ou 80 ans de travail au salaire médian pour doubler son niveau de vie. Cela signifie qu’une personne travaillant au salaire médian en France n’a pas l’espoir d’augmenter significativement son niveau de vie, sauf à bénéficier de promotions. Elle ne peut plus compter, comme autrefois, sur la dynamique générale des revenus. »
« Ajoutez à cela le fait que, beaucoup plus qu’avant, nous connaissons des séparations, des recompositions familiales. Vous ne pouvez pas imaginer aujourd’hui acheter un logement si, d’un côté, l’aide au capital par les parents arrive tard et, de l’autre, vous devez gérer deux logements achetés avec un seul salaire, dans un contexte où le salaire médian est quasiment “planté” en termes de progression.
Vous pouvez mettre en place tous les dispositifs que vous voulez : si vous ne tenez pas compte de ces transformations profondes de la France, il est assez probable que vous allez vous tromper dans la politique du logement.
Si vous ajoutez à cela des dispositions qui rendent la construction plus difficile, plus chère, des règles qui n’ont pas suffisamment fluidifié le marché immobilier, vous obtenez une construction insuffisante, un marché immobilier insuffisamment fluide, plus un modèle économique d’accession à la propriété qui n’est plus du tout celui d’hier. »
« Il faut que les propriétaires aient une rentabilité correcte »
« La question de la fluidité du marché immobilier est souvent présentée comme insoluble. Je voudrais faire un parallèle avec le marché du travail.
Longtemps, on a dit qu’un des problèmes français, qui expliquait un fort taux de chômage, tenait au fait que le marché du travail n’était pas fluide. Lorsqu’on embauchait quelqu’un et qu’on devait s’en séparer, on entrait dans des procédures interminables et très incertaines. Les ordonnances dites “Pénicaud” adoptées en 2017 ont permis de plafonner le coût et la durée des procédures prud’homales en cas de rupture afin de réduire l’incertitude. Cela a permis, en partie, de réduire le chômage. »
« Je suis convaincu que si nous voulons mettre davantage de biens sur le marché immobilier, réduire la vacance, il faut que les propriétaires - ceux qui prennent le risque de détenir un bien et de le louer - aient une rentabilité correcte. Il faut arrêter de les les punir fiscalement. Il faut aussi qu’ils puissent récupérer leur bien dans des conditions qui ne soient pas indécentes pour le locataire, mais qui constituent une garantie réelle pour le propriétaire.
Si vous ne faites pas cela, vous pouvez tenter de solvabiliser le locataire par tous les dispositifs que vous voulez, mais ça ne fonctionnera pas. »
Loi Climat et Résilience : « On pourrait suspendre temporairement la notion d’indécence énergétique »
« Du point de vue fiscal, s’agissant de l’IFI, je considère que ce n’est pas complètement à l’État de déterminer les choix individuels en matière d’épargne. Je peux comprendre qu’il y ait des mécanismes incitatifs, mais j’ai plus de mal à accepter des mécanismes franchement désincitatifs.
Quand on a constitué une épargne en choisissant l’immobilier plutôt que l’assurance-vie, les obligations ou les actions, est-ce qu’on rend un service moindre à la collectivité ? Est-ce qu’on affecte des ressources qui seraient nécessaires ailleurs ? Je ne le crois pas.
Sur la loi Climat et Résilience, elle illustre bien pourquoi il faut toujours se méfier des bonnes intentions en politique. Comme pour la loi ELAN, l’intention était bonne : il existe des passoires thermiques, il faut inciter les propriétaires à corriger cette situation. Sauf que le mécanisme mis en place a d’évidents inconvénients. Dire que, si vous n’effectuez pas les travaux de rénovation, votre logement sort du parc locatif, suppose : qu’on sache quantifier les travaux, qu’on puisse les réaliser, qu’on puisse les financer. »
« Le résultat, c’est qu’au fur et à mesure, il y a moins d’appartements sur le marché. Et la seconde conséquence, parce que c’est une logique de marché, c’est que ce sont les plus fragiles qui sont le plus affectés. Si vous avez beaucoup de moyens et que vous vivez dans un logement classé G, vous finirez par vous débrouiller. Si vous êtes une famille ou un individu extrêmement modeste, vous aurez beaucoup de mal à retrouver un logement et vous risquez d’être exclus de la politique du logement.
Comment en sortir ? On ne peut pas renoncer complètement à la bonne intention. Il faut encourager les propriétaires. On pourrait sans doute suspendre, temporairement, la notion d’indécence énergétique, le temps que le marché retrouve des couleurs, ou adapter les modalités. Par exemple, vous avez évoqué la décarbonation du parc : si c’est bien la décarbonation qui est recherchée, on doit pouvoir faire une place plus grande au chauffage électrique par rapport à d’autres systèmes, parce qu’en France, grâce au mix électrique, il est très décarboné. »
Encadrement des loyers : « La façon la plus efficace de détruire une ville, ce n’est pas le bombardement, c’est l’encadrement des loyers »
« L’encadrement des loyers est le moyen le plus efficace, à l’exception d’un bombardement, pour détruire une ville', disait l’économiste suédois Assar Lindbeck. Cela résume plutôt bien mon positionnement sur le sujet.
L’encadrement des loyers avait été conçu comme une expérimentation, avec un rapport attendu à son terme. Sur le principe, je ne trouve pas absurde que le législateur autorise des expérimentations, attende, observe si cela fonctionne ou non, puis généralise ou renonce. J’attends le retour d’expérience en novembre prochain. »
« Sur le fond, je suis plutôt contre. Je peux comprendre la logique de ceux qui ont imaginé le dispositif : dans certaines zones, avec une pression très forte, dans l’impossibilité de construire davantage, on peut en imaginer les effets. Toutefois, je suis absolument certain que, dans une économie de marché, lorsqu’on empêche le prix de jouer son rôle d’équilibrage entre l’offre et la demande, on crée des problèmes encore plus graves.
Quand la question s’est posée dans ma communauté urbaine du Havre de recourir ou non à l’encadrement des loyers, j’ai indiqué qu’il n’en était pas question au niveau de l’intercommunalité. »