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« Impossible que le marché retrouve, en sortie de crise, son rythme des derniers mois »

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Pour Henry Buzy-Cazaux, président de l’Institut de management des services immobiliers (IMSI), il est impossible que le marché de l’immobilier retrouve, en sortie de crise, son rythme des derniers mois. Et pour cause : « La quasi-totalité des ménages auront été affaiblis par la crise au plan économique et leur pouvoir d’achat immobilier se sera réduit. »

Henry Buzy-Cazaux, président de l’Institut de management des services immobiliers (IMSI) - © D.R.
Henry Buzy-Cazaux, président de l’Institut de management des services immobiliers (IMSI) - © D.R.

Le Premier ministre Edouard Philippe a répété en mars 2020 que la crise allait révéler ce que « l’humanité a de plus beau et de plus sombre ». Quel peut être l’impact du confinement sur les comportements vis-à-vis de l’immobilier ? L’immobilier peut-il résister à un choc ?

La phrase d’Édouard Philippe avait une portée générale, et à ce titre elle s’applique bien sûr aussi à l’immobilier. Les acteurs de la filière se sont mobilisés à la première heure pour apporter leur concours. On peut citer Nexity, qui a mis à la disposition du personnel soignant ou des sans-abris sa capacité d’accueil en résidences gérées dans nos villes. Mais aussi la Compagnie du Phalsbourg qui a effacé pour 3 mois les loyers de ses locataires commerçants en difficulté du fait de l’interdiction d’exercer. CDC Habitat et In’Li, ont pré-réservé 50 000 logements à eux deux auprès des promoteurs privés. On pourrait citer bien d’autres initiatives solidaires. En face de cela, on voit des copropriétés qui demandent à leurs occupants personnels de santé de quitter l’immeuble par peur qu’ils ne contaminent pas la collectivité.

Mais on pourrait aussi montrer du doigt des actions commerciales de quelques enseignes, qui ont estimé que dès le début du confinement il fallait proposer des produits défiscalisants aux ménages assignés à résidence. Pour le reste, l’immobilier résistera mieux que la plupart des secteurs pour plusieurs raisons.

C’est d’abord un marché essentiellement fondé sur des besoins que la crise ne fera pas disparaître, liés aux grands événements heureux ou malheureux de la vie. Ensuite, acheter un logement revient à préempter l’avenir et c’est salutaire lorsqu’une crise vous a fait douter de la solidité de la vie même. Enfin, les fondamentaux économiques du logement resteront favorables, des taux d’intérêt très bas, une compétitivité accrue par rapport aux autres supports d’investissement, des valeurs qui vont démontrer leur robustesse. 

Je ne crois pas, comme je l’entends de la bouche de certains analystes, à ce que j’appellerai un effet “Youpi”, qui consisterait pour le marché de l’immobilier à redémarrer en fanfare, en reprenant son rythme d’avant-crise. Impossible parce que la quasi-totalité des ménages auront été affaiblis par la crise au plan économique et que leur pouvoir d’achat immobilier se sera réduit. Il est également évident que la nation va sortir traumatisée de cet épisode, d’autant qu’on n’exclut pas qu’un deuxième lui succèderait. Enfin, c’est la restauration de l’économie générale du pays qui va conditionner l’envie d’investir et de consommer. En clair, le niveau du chômage ou encore la mortalité des entreprises, exogènes de l’immobilier, vont compter autant que les considérations sectorielles.

Quels éléments pourraient-ils perturber la reprise de l’activité ?

L’ambiance générale du pays au 2e semestre 2020 va être déterminante. En outre, la politique du logement menée sera majeure. L’heure ne sera plus ni aux discours disqualifiants pour l’immobilier, comme l’Exécutif les a multipliés depuis 2 ans et demi, ni aux gestes malveillants. Le Gouvernement devra enfin considérer ce secteur tel qu’il est, à savoir moteur pour la croissance de la France et vital pour son redressement.

Sur le volet des baux commerciaux, un accord global vient d’être trouvé avec les principaux représentants de propriétaires bailleurs de baux commerciaux en pied d’immeubles, selon le ministère de la Cohésion des territoires. Avez-vous de retours des professionnels à ce sujet ?

Cet accord fait suite à la déclaration du président de la République dès son premier discours pour annoncer aux Français la gravité de la situation et le confinement. Il a appelé de ses vœux que les locataires commerçants bénéficient de mesures de clémence. J’ai été surpris par ces propos, qui semblaient ignorer que la plupart des bailleurs sont des particuliers, voire des SCI familiales, certainement pas des foncières cotées. Quelques engagements que prennent les associations représentantes de ces investisseurs personnes physiques, il appartiendra à chacun de mesurer ce qu’il peut faire. La plupart se sont endettés pour investir, d’autres comptent sur leurs revenus fonciers pour vivre et compléter leur retraite.

Bref, je crains que tout cela ne soit un peu incantatoire. À l’arrivée, ce sont les banquiers qui devront supporter les bailleurs qui auront voulu faire preuve de solidarité. Les professionnels, dès le discours du chef de l’État, ont reçu des requêtes en délai de paiement et en annulation de créance. Il ne faudrait pas que les mains tendues induisent une déresponsabilisation des locataires commerciaux, qui en outre peuvent bénéficier d’aides puissantes de la part de l’État, c’est-à-dire de la collectivité.

Selon vous, quelles devraient être les orientations d’un plan de relance du secteur de l’immobilier ?

Un plan de relance, inévitable, devrait commencer par rétablir des dispositifs qui ont fait leurs preuves, le PTZ, le Pinel, l’APL accession. Qu’on cesse de remettre en question ce qui marchait, au nom de dogmes qui n’ont pas fait leurs preuves et au nom d’une orthodoxie budgétaire qui n’est de toute façon plus à l’ordre du jour. Qu’on tienne la promesse d’exonérer de taxe d’habitation les 20 % de ménages aux revenus supérieurs, ce qui semble compromis. Qu’on empêche les Départements qui vont en avoir la tentation, d’augmenter les droits de mutation à titre onéreux. On pourrait même imaginer une franchise, de 100 000 € par exemple, sur ces droits de façon provisoire pour catalyser les achats.

Rejoignez-vous Jean-François Humbert, président du Conseil supérieur du notariat (CSN) sur un scénario baissier ? Dans les zones tendues, comme Paris et les grandes villes, les prix pourraient d’après vous se rétracter de 5 % seulement, si la crise dure jusqu’en juin 2020. Quelles seraient les raisons ? Qu’en serait-il pour les villes moyennes sous-valorisées ?

Je n’imagine pas un instant que cette crise sanitaire, qui va affaiblir financièrement tous les ménages, des plus fragiles aux plus aisés, n’ait aucun impact sur les prix. C’est un phénomène inédit : cette fois, ce n’est pas la réduction progressive des volumes du fait de la désolvabilisation des acquéreurs qui va entraîner une baisse des valeurs. Le marché aura été interrompu par décision administrative, mais cette même décision aura entraîné des difficultés lourdes pour les ménages, qui vont peser sur les prix. Sans doute verra-t-on 2 régimes : dans les marchés tendus, où les candidats à l’acquisition ont forcément des revenus supérieurs pour pouvoir absorber des prix devenus très élevés après des années de hausse, les prix ne devraient pas baisser de plus de 5 % en sortie immédiate de crise.

Sur les territoires à moindre attractivité, une baisse double risque d’intervenir, parce que les populations qui y vivent auront été plus touchées en valeur relative que les habitants des métropoles. Je sais que le président Humbert du Conseil supérieur du notariat a évoqué une baisse qui pourrait aller jusqu’à 15 %. Il est certain qu’au 2e semestre 2020 tout dépendra de la restauration de l’économie générale du pays.

Si nous n’avons pas su collectivement relancer la machine, alors les valeurs immobilières s’en ressentiraient encore davantage. Enfin, ce sont les banques qui détiennent une partie de la réponse : si elles durcissaient la distribution de prêts immobiliers, elles feraient chuter les volumes de transaction et elles alimenteraient une baisse des prix qui seraient le signe d’une pathologie. À l’inverse, elles doivent se mobiliser et être au rendez-vous de la relance par l’immobilier.

Vous restez convaincu que le moral des professionnels de l’immobilier sera déterminant ?

On ne parle pas de l’essentiel : l’envie, des entreprises, notamment dans l’immobilier, comme des particuliers. Le confinement va encore durer, je le crois vraiment, et il crée un abattement collectif, contre lequel chacun lutte. Au sein des entreprises, les managers se battent pour sauvegarder l’enthousiasme commercial, contre vents et marées. Il reste que selon que les promoteurs, les constructeurs, les agents immobiliers, les agents commerciaux auront conservé l’allant ou ne l’auront plus au même degré, la reprise n’aura pas la même vitesse.

Le président de la Fnaim, Jean-Marc Torrollion, a eu la franchise d’annoncer des chiffres possibles de mortalité des agences et de suppression des emplois de négociateurs inquiétants. Je souscris à ses craintes que je crois même modérées. Je me bats à ma mesure pour soutenir l’optimisme de mon secteur, et pour attirer l’attention du Gouvernement sur la situation spécifique des acteurs de l’immobilier. Je pense tout particulièrement aux agents commerciaux, 80 000 femmes et hommes qui sont les forces vives de la transaction, qu’ils exercent en réseau ou au service d’agences indépendantes : il est impératif qu’ils accèdent aux aides à la disposition des TPE.

Il faut aussi prendre en considération la temporalité propre des ventes immobilières : un honoraire ou une commission n’est perçue que 3 à 5 mois après la signature de l’avant-contrat et par conséquent la baisse de chiffre d’affaire de 50 % entre mars 2020 et mars 2019 dont il faut arguer pour accéder aux 1 500€ du fonds de solidarité ne convient pas. En mars 2020, les agences et les négociateurs ont encaissé des émoluments résultants d’opérations anciennes. Il faut donc trouver un autre repère.